Projet SIGIL, de l’espoir à la désillusion…

Sous ce nom barbare se cache un VTT (Virtual Table Top), un logiciel servant à jouer aux jeux de rôles papier via une interface web, comme Roll20 ou Foundry. Mais ce n’est pas n’importe quel VTT, mais la plateforme officielle de Donjons & Dragons, développé et édité par Wizard of the Coast. Une belle promesse pour les fans, mais la réalité en est d’autant plus déceptive !

Donjons & Dragons, la licence de jeu de rôle la plus connue, la plus ancienne (50 ans de vie) et sûrement la plus jouée à travers le monde. La licence a été rachetée par Wizard of The Coast (WotC) en 1997 avant la faillite de TSR. Fort de sa licence Magic: the Gatering, à l’aise financièrement, cela semblait la bonne solution sauver D&D.

Et ça marche. C’est sous leur direction que sortiront les versions 3 et les suivantes. Véritable succès, la version 3.5 sortie en 2003 est encore très jouée autour des tables réelles. Tout semble aller pour le mieux en Faërun, dans les Mondes Oubliés et dans tous les autres univers parallèles de la licence. En 2019 et 2020, Wizards of the Coast And Digital Gaming a fait plus de profits que la branche jouets de Hasbro, leur maison mère, D&D représentant 23% de ces bénéfices.

Baldu’s Gate 3, sort en 2023, obtient le GOTY, réalise plusieurs millions de ventes et rapporte plus de 90 millions de dollars à Hasbro. Il remet la licence D&D sur le devant de la scène et la fait même découvrir à un plus large public.

L’avènement des VTT

En parallèle et depuis une décennie (oui, déjà), le jeu de rôle « papier » est redevenu à la mode, grâce notamment à la série de vidéo Aventures publié par le Joueur du Grenier (JdG) où il joue avec des amis à une véritable partie de jeu de rôle, avec un maitre de jeu, et de belles histoires. Ils utilisaient alors la plateforme Roll20, une table de jeu virtuelle permettant aux joueurs de voir leurs personnages sous forme de token, placés sur une carte représentant leur environnement. Le VTT permet également le lancé des dés, l’accès à sa fiche de personnage, la prise de notes, la diffusion de musique pendant la partie pour agrémenter l’ambiance, l’affichage d’images ou même de vidéos pour illustrer les propos du maitre du jeu (MJ).

Vidéo « Aventures » du Joueur du Grenier, sur Youtube

Ces outils ont le pouvoir de rassembler les joueurs malgré la distance, grâce à la magie du net, et permettent également d’offrir une meilleur visibilité avec des cartes plus jolies et plus détaillées que de simples tracés au feutre sur un velleda quadrillé. Alors, oui, on perd le côté convivial de se retrouver autour d’une table, avec quelques chips et boissons à partager, mais cela rend également plus facile de s’organiser, voir même de trouver les compagnons de jeu. Et Dieu sait que ce genre d’outils sauvera nombres de parties, et exploseront en popularité pendant les périodes où il nous était impossible de nous rassembler… Certains groupes habitués à se rejoindre régulièrement chez l’un ou l’autre, basculeront même définitivement sur l’utilisation de VTT pour leurs parties hebdomadaires.

Le problème des VTT actuels

Si les VTT semblent les outils ultimes pour mener de belles campagnes, tous se retrouvent confrontés aux mêmes problèmes. Déjà, les problèmes de moteurs de jeu. Car si Donjons & Dragons reste le jeu le plus joué, il n’est pas le seul JdR à avoir du succès et une forte communauté. Ils sont nombreux, aujourd’hui, utilisant des systèmes de règles différents, se déroulant dans des mondes différents, à des époques différentes. On peu ainsi jouer à Star Wars, Chtuluh, Vampire la Mascarade, Shadowrun, Deadlands, Pathfinder, Warhammer, etc, etc… Chacun de ses jeux a ses propres règles, ses propres fiches de personnages, etc…

Liste modules Foundry
Liste modules Foundry

Ainsi, il faudra parfois lancer un dé 6, parfois une pelleté de dés, parfois un dé 20, etc… Certains jeux n’ont même pas besoin de dé ou de fiche de personnage. Et que ce soit dans Roll20, Foundry, ou d’autres VTT moins connus, ces systèmes sont disponibles, et jouables. Il en faut pour tous les gouts, et tout le monde n’aime pas D&D. Mais cette multiplicité des systèmes implique une configuration précise de sa table de jeu dans son VTT favoris.

Et malheureusement, aucun ne propose un système clé en main, où toutes les règles seraient appliquées automatiquement (en particulier pendant les combats), incluant tous les sorts, toutes la capacités, toutes les races, toutes la classes pour son personnage. Sans même parler d’animations visuelles agrémentant le lancer de sort ou de capacités. Tout cela doit être configuré sur notre table de jeu. Heureusement, de nombreux passionnés développent des modules pouvant être intégrés dans son VTT et facilitent la vie des joueurs et des MJ. Mais généralement, ces modules se concentrent sur un aspect particulier (automatisation des combats, animation, prise de notes, traduction, environnement, etc…). Ce qui donne, pour une partie configurée à votre convenance, une millefeuille de modules, à paramétrer chacun individuellement… Un très gros travail pour le MJ, je peux vous le confirmer en connaissance de cause ! De plus, cela alourdit considérablement le chargement des pages. Et même si la fibre devient la norme, tout le monde n’est pas encore équipé…

L’autre problème des VTT, c’est l’accès aux licences officielles. WotC n’est pas une œuvre de charité, et même s’ils ont mis à disposition une version allégée des règles de Donjons & Dragons, appelé le SRD, ils ne veulent pas que tout le monde puisse jouer au « vrai » jeu, sans passer à la caisse. Le SRD est sous licence OGL (gratuit et libre), mais ne contient pas toutes les règles. Il manque des sorts, des spécialités de classes, des objets, etc… Une version « light ». C’est cette licence qu’exploite les VTT actuels. Il leur est ainsi impossible légalement de faire mieux, ou d’accepter des modules incluant des éléments sous licence. WotC a lancé en D&D Beyond, un site internet incluant de nombreux outils officiels comme la création de personnage avec leur fiche, les règles, etc… Mais il faut acheter, par exemple, le livre du joueur, sur ce site, pour avoir accès à ce qu’il contient et l’inclure dans son personnage. Et idem pour chaque livre et son contenu… Il faut tout racheter sur leur plateforme, même si vous l’avez déjà est version papier dans vos étagères. il existe des accords de partenariat entre certains VTT et D&D Beyond pour inclure le tout dans ses parties. Mais comme dit précédemment, il faut tout racheter, et c’est en anglais exclusivement ! Et cela ne résous pas le problème précédent des mécaniques et des règles automatiques…

La promesse de SIGIL

Fort de ce constat, et de la réussite planétaire de Baldur’s Gate 3, WotC a décidé de développer son propre VTT, exclusivement dédié à Donjons & Dragons, et voulant combler tous les vides, et tous les problèmes de autres plateformes. Le rêve pour tout MJ s’imaginant déjà faire évoluer ses joueurs dans un monde aussi beau que pratique. Ils avaient tout à disposition, les mécaniques et les règles étant déjà inclus dans BG3, les objets et les décors étaient prêts. On s’imaginait déjà évoluer dans un style de BG3, mais avec des figurines en 3d et lancer des dés sur le décor ! Tout semblait sur de bons rails, et les premières images, les trailers étaient fous !

Projet Sigil
Projet Sigil

Contrairement aux autres VTT qui utilisent le navigateur comme interface, il s’agit ici d’un jeu à part, devant être installé en lancé par chacun des joueurs. Pourquoi pas, en vrai… Mais le résultat est très loin de toutes les promesses. Le moteur Unreal Engine 5 donne de magnifiques décors, mais le jeu est affreusement lourd et nécessite une machine de guerre pour tourner correctement… Annoncé comme une sortie en accès anticipé, on pouvait s’attendra à quelques problèmes au lancement, et à quelques manques, mais à ce niveau là, on n’est plus proche d’une alpha que d’une béta… On pourrait presque les excuser, car c’est quand même beau… Comme Star Citizen.

Mais dans la même semaine, Wizrad of the Coast annonce que 90% des développeurs du projet ont été remerciés. Et là, on prend une grande claque. Fini. Adieu tout espoir de voir évoluer cette plateforme vers quelque chose de jouable et d’exploitable. Le rideau se baisse, et la salle hurle son désespoir et sa colère !!!

Alors que dire… Comment conclure ?… La déception est telle que les mots me manquent. Mais j’ai encore un espoir. C’est qu’un projet indépendant voit le jour. Je n’ai plus confiance dans Hasbro ou Wizard of the Coast. Mais cet hypothétique projet se heurtera également aux mêmes problèmes que les VTT, à savoir l’accès à la licence et aux règles officielles. Et je ne voit pas WotC lâcher là-dessus ou même proposer un accord intéressant…

Donc, nous continuerons à jouer sur Foundry, je continuerai à programmer mes sorts et leurs effets visuels à la main, je continuerai à créer des monstres à la main même s’ils sont présent de la Manuel des Monstres officiel… Souhaitez-moi bon courage.

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